Le Niger n’est-il pas en train de se mettre la corde au cou ?
Le Niger est à nouveau à la croisée des chemins. Mardi 25 juin 2024, au soir, le compte-rendu de la réunion des ministres fait état d’un communiqué du Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine sur l’utilisation du système de transport des hydrocarbures par pipeline du Tchad. La rumeur publique sur l’éventualité d’un contournement du pipeline Niger-Bénin prend une forme officielle. À l’occasion, l’opinion nationale nigérienne apprend que le 30 mai 2024, c’était déjà dans l’objet d’une mission tchadienne qui a séjourné à Niamey et qui a rencontré le président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp). Le Premier ministre rappelle ainsi la raison de leur séjour à Niamey était la reprise des échanges pour faire passer le brut du Niger par le Tchad. Lamine Zeine a précisé en outre que le 17 septembre 2012, un protocole d’accord bilatéral entre le Niger et le Tchad a été signé dans ce cadre et que ledit accord a été approuvé le 1er juillet 2014 par l’Assemblée nationale et promulgué le 21 juillet 2014. Et le clou est là : « en raison des excellentes relations de bon voisinage et de fraternité entre nos deux pays, il a été décidé de mettre en place un comité pour réactiver les travaux devant conduire à l’atteinte de cet objectif ».
La communication du Premier ministre Zeine a été faite curieusement le jour où les deux anciens présidents du Bénin, Nicéphore Soglo et Yayi Boni, sont arrivés à Niamey aux fins d’échanger avec les autorités nigériennes sur la crise qui perdure entre Niamey et Cotonou, au grand dam des populations des deux pays, confrontées à des difficultés de vie exponentielles. Un message que Niamey ne reviendra pas en arrière ? Quoi qu’il en soit, l’agenda n’a pas été du tout à l’avantage des hôtes de Niamey qui espèrent par cette démarche serait un point d’appui solide à une solution diplomatique à venir.
Tout est dit et personne ne mettra désormais en doute ce projet que certains pensent surréaliste, aujourd’hui. Il faut dire que Niamey semble emmêler les pinceaux. Au début juin, le Cnsp a décidé, de la construction d’une nouvelle raffinerie à Dosso afin de faciliter l’approvisionnement des deux autres pays de l’Alliance des États du Sahel (Aes) en hydrocarbures. Le projet, selon une communication officielle, est prévue pour être matérialisée d’ici à décembre 2025. Le comité vient à peine d’être installé que la rumeur publique a commencé à propager le bruit qu’il est question de détourner le pipeline Niger-Bénin vers le Tchad ou le Togo. Cette communication du Premier ministre, lors de ce conseil des ministres du 25 juin 2024, enlève tout doute quant à la volonté des autorités nigériennes de remettre en cause le transport du brut par le canal du Bénin. Un choix jugé judicieux par Niamey et opéré à l’époque sous le Président Tanja Mamadou pour les avantages économiques comparatifs qu’offre le port de Sémè, au Bénin.
Si l’annonce a été applaudie par certains leaders de la société civile et quelques influenceurs qui s’en sont félicités sur les réseaux sociaux, il reste que de grandes questions demeurent. Des questions sur lesquelles le gouvernement n’a encore rien dit afin d’éclairer la lanterne des Nigériens. Le Tchad n’a pas de terminal maritime et s’il faut choisir le port de Kribi au Cameroun, ce ne serait probablement pas l’accord bilatéral Niger-Tchad qui règlera le problème. Il faut bien un accord tripartite qui inclurait forcément le Cameroun dont le port sera utilisé pour le chargement des navires. Pour acheminer le brut nigérien jusqu’à ce port, il faudra un pipeline de 1070 km, dont 170 km du territoire tchadien. Pour le port de Sémè, il a fallu construire un pipeline de 1982 km, dont 1298 km au Niger et 684 km au Bénin. À partir de quel kilométrage va-t-il falloir démanteler le pipeline pour le rediriger sur le Tchad ?
Un défi logistique qui ne sera pas aussi mince qu’on en parle. Il faut des mois pour y parvenir. Mais la durée est sans doute le moindre souci. Entre le Niger et la Cnpc chinoise, qui supportera le coût ? N’est-ce pas un autre gouffre financier qui compromettra, pour longtemps, les capacités d’investissement de l’État ?
Déjà en mal avec l’encours de la dette, Niamey ayant dû récemment contracter des emprunts sur le marché financier régional pour rembourser des prêts arrivés à échéance, un observateur avisé indique que Niamey s’emmêle les pinceaux. Rien que vis-à-vis de la Chine, probablement un des gros créanciers du Niger, il y a, entre autres, les 1000 milliards d’Eximbank de Chine, un véritable goulot d’étranglement jamais éclairci jusqu’ici. La construction d’une raffinerie à Dosso et le détournement du pipeline vers le Tchad constituent des projets d’envergure qui impacteraient davantage et durablement l’état financier, déjà précaire.
Par-delà les aspects financiersqui risquent d’être très complexes et insupportables pour le Niger, il faut tout de même tenir compte de l’histoire du Tchad, un pays instable et miné par des rebellions presque permanentes pendant des décennies. La solution du Tchad est-elle la meilleure ? Rien n’est moins sûr. Car, la voie de Cotonou n’est pas simplement un canal de transport du brut nigérien par pipeline, mais aussi le terminal maritime par lequel le Niger importe ses produits de première nécessité à coûts plus ou moins acceptables. Cet avantage ne sera pas compensé par le détournement du pipeline vers le Tchad, tant que la frontière avec le Bénin reste fermée. Or, fait observer un connaisseur de la chose, si le Niger détourne le pipeline vers le Tchad, il compromet à jamais les relations avec le Bénin.
Laboukoye