Les Nigériens attendent de bien meilleurs résultats
« L’action du CNSP, a déclaré le général Tiani au soir du 28 juillet 2023, est motivée par la seule volonté de préserver notre chère patrie face, d’une part à la dégradation continue de la situation sécuritaire dans notre pays, et cela sans que les autorités déchues ne nous laissent entrevoir une véritable solution de sortie de crise ; d’autre part, par la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Un bout de son discours qui a fait tant rêver les Nigériens qui y ont entrevu les prémisses d’une prise en compte des deux de leurs préoccupations majeures. 10 mois après cette première déclaration publique, le général Tiani et le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) sont plus que jamais attendus sur ces défis majeurs qui ont motivé les évènements du 26 juillet 2023. La lutte contre le terrorisme et l’insécurité tarde à tenir ses promesses. Les forces terroristes que l’on croyait anéanties reprennent du poil de la bête, inquiétant les populations civiles, notamment dans la région de Tillabéry où ils sont très actifs. Malgré les efforts et les moyens déployés par le Cnsp, ils arrivent à faire mal. L’attaque du poste militaire de Boni, à la frontière burkinabè, le 23 mai 2024, a fait plus d’une dizaine de morts parmi les forces de défense et de sécurité. Même si les assaillants ont été par la suite écrasés grâce à une coordination avec les Forces de défense et de sécurité du Mali, il reste que l’effet psychologique sur les populations est grand. Si ce n’est pas la psychose d’avant le 26 juillet 2023, la situation sécuritaire est toutefois loin d’être celle rêvée et espérée par les populations après l’avènement du Cnsp.
Quid de la mauvaise gouvernance économique et sociale ? Le Niger est certainement loin du wassosso connu sous la 7e République. Cependant, les Nigériens auraient souhaité voir le Cnsp faire plus et mieux afin de mettre définitivement un terme à la corruption et autres infractions assimilées. S’ils ont applaudi la création de la Coldeff, ils n’ont pas particulièrement apprécié les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 22 de l’ordonnance créant la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (Coldeff). Par cet alinéa, note-t-on, la Coldeff peut conclure une transaction avec un mis en cause et, dans ce cas, l’action publique est éteinte. Pour de nombreux observateurs, la mesure vise à soustraire les membres de la légion rose, impliqués dans de multiples malversations financières portant sur des milliards, à une sanction pénale. D’ailleurs, une bonne partie des infractions de grande ampleur, notamment les détournements de deniers publics, échappent à l’action de la Coldeff. De grands scandales financiers sont ainsi hors de portée des commissaires de la Coldeff qui, sous la pression populaire des Nigériens qui attendent des résultats tangibles, se rabattent presque exclusivement sur les rapports de la Cour des comptes. Là encore, le bât blesse puisque les cas d’enrichissement illicite éventuels, suggérés par de nombreuses déclarations de biens des autorités déchues ne sont pas visiblement épluchés. À ce jour, aucun des membres de la galaxie rose incarcérés n’a été formellement inculpé pour un détournement de deniers publics ou un enrichissement illicite. Les avoirs déclarés par les intéressés le suggèrent pourtant. Résultat, la Coldeff peine à convaincre par sa méthode.
Si la Coldeff est perçue par bon nombre de Nigériens comme un moyen d’absolution des barons du régime déchu, ce n’est pas fortuit. Outre que l’alinéa 2 de l’article 22 est à leur faveur exclusive, des faits récents ont fortement corroboré les soupçons populaires. L’interpellation, puis la garde à vue suivie de déferrement de trois responsables de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) au Parquet le 23 mai, ne peut que susciter davantage de soupçons. « Lorsque le traitement fait apparaître des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, la Coldeff transmet le rapport de ses investigations au procureur de la République compétent aux fins de poursuites judiciaires ». C’est l’alinéa 1 de l’article 22 que la Coldeff a cru devoir appliquer en transférant le dossier Ceni au Parquet avec les mis en cause. En fin de journée, l’on a appris que le dossier doit retourner à la Coldeff. Les mis en cause ? Ils sont libres et on se demande bien quel sera désormais le sort de ce dossier qui concerne tout de même des dizaines de milliards de francs CFA. Il n’y a certes pas encore le moindre dossier de détournement connu à ce jour sous le Cnsp. Cependant, les Nigériens, qui s’attendent légitimement à des procès équitables sur de nombreuses affaires qui ont ruiné l’État, sont quelque peu déçus et ne croient guère à un si grand impact moral de la méthode privilégiée par le Cnsp.
Laboukoye