Dans la marche actuelle du pays, on sent bien que l’engouement populaire s’est quelque peu estompé, les Nigériens ayant, depuis quelques jours, perçu des signes qui ne les rassurent pas. Et, en vérité, il y a de quoi. Notre marche avec le Mali et le Burkina Faso, ne peut se faire avec des doutes sans trahir l’AES. Or, à ce niveau, c’est notre image qui est en jeu au milieu de nos frères et sœurs de ce nouvel ensemble géographique qui a pris sur lui la responsabilité de libérer nos peuples et même, osons le croire, toute l’Afrique qui nous regarde, fière de l’engagement des trois dirigeants à réécrire une nouvelle page de l’histoire de l’Afrique nouvelle libre, et libérée de longues décennies d’exploitation et de domination. Quand on voit une certaine détermination dans les autres pays, chez nous l’action semble plus timorée, faite de doutes et d’hésitation, comme si quelque chose devrait angoisser les autorités dans la conduite de l’Etat. Pourtant, avec la qualité de certains hommes que l’on voit autour du CNSP, l’on ne peut pas croire qu’il ne puisse pas se faire confiance à lui-même, les militaires étant eux-mêmes des généraux, des hommes qui ont une certaine expérience qui ne peut justifier qu’ils aient ces mains moites à agir, à oser des décisions hardies qu’exige la situation gravissime d’un pays pour lequel, prenant cette mesure, ils disaient venir pour « sauver la patrie » menacée de naufrage du fait de l’attitude insouciante et outrancièrement cupide de ceux qu’ils venaient renverser. Ils comprenaient d’ailleurs le caractère éminemmentsalvateur de leur action quand, tout de suite, après le coup d’Etat, partout, jeunes et vieux, groupes organisés, villages et villes du pays – toutes choses qu’on n’avait jamais vues auparavant – se levaient, sortant de la torpeur imposée pour crier leur joie et leur soutien aux nouvelles autorités. Le CNSP, peut-il déjà avoir oublié que même des villages manifestaient, marchaient, comportement qu’on n’avait jamais vu auparavant dans le pays ? Cette attitude montrait à quel point les Nigériens en avaient assez du régime qu’il renversait, aspirant à une meilleure gouvernance, à une meilleure justice sociale et à un certain mieux-être.
Cette ferveur et cette espérance, peut-on la trahir ? Il va sans dire que non et on peut croire que le CNSP en a conscience, lui qui joue pour l’histoire, pour ce pays martyrisé qui a tant souffert de la gestion de camarades qui n’ont pas su respecter leurs promesses même si, pour mentir, dans une autosatisfaction vaniteuse, le régime Issoufou peut se faire imprimer à grands frais des posters pour aligner dans les rues du pays, cette expression qui a fait sourire le monde entier : « Promesses tenues ». Pourtant, aucune n’avait été tenue. Il venait pour se sucrer et embourgeoiser son clan, quand tous ceux qui ne pouvaient lui ressembler doivent aller en prison, bannis, ostracisés et poussés à l’exil. Qui ne peut pas se rappeler, quand construisant des marchés modernes ailleurs, à Niamey, on va jusqu’à détourner l’ancienne place du Petit Marché victime d’incendie sous les Renaissants pour la dédier à autre chose comme si de l’espace venait à manquer dans ce pays, laissant les commerçants dans la rue ? On sait que le grand marché de Niamey, s’il est grand, ne l’était que pour une ville de Niamey d’une époque, non pour celle d’aujourd’hui qui a débordé de tous les côtés pour s’étendre sur des communes de la région de Tillabéri. D’ailleurs, où se trouve, aujourd’hui, un seul marché sérieux dans la capitale du pays, un seul marché que l’on peut qualifier de moderne ? Il n’en y pas un seul !
Les populations attendent des changements, ils ont cru que le CNSP peut en être capable. Et ils avaient soutenu, sans réserve. Mais ne sont-ils pas en train de déchanter depuis quelques semaines ? Tous perdaient leur enthousiasme dans le soutien du régime et ce depuis qu’ils voyaient d’autres qui sont à la base des malheurs de ce pays, investir le pays pour jouer au trouble-fête et profiter, dans l’ambiance des rumeurs qui s’amplifiaient dans le pays, qu’un certain CNSP serait de mèche avec leur mentor. Le jeu trouble de ceux-là avait semé le doute dans les esprits et alors qu’on le disait, le CNSP semblait ne pas l’entendre, se défendant de jouer pour une cohésion qui n’était pourtant pas menacée du fait de gens bien connus du pays et qui, ainsi agités, n’étaient qu’apeurés de faire face à leur gestion qu’ils savent chaotique. Les Nigériens ont compris et ils ont compris les hommes politiques. Le peuple ne les intéresse que lorsqu’ils sont en difficulté.
Sortir des torpeurs…
Pour être avec l’AES, nous devrons avoir un certain comportement car il ne faut pas oublier que toute fausse note, ici au Niger, au Mali et Burkina Faso, pourrait être fatale à notre marche, à notre révolution. Les décisions que font nos autorités et que soutiennent les peuples, ont aussi fini, sur le terrain de la géopolitique, comme dans chacun des pays, par nous faire des ennemis, des gens qui, depuis des mois, pensent les différentes stratégies à mettre en œuvre pour saborder nos transitions. Si les ennemis internes souffrent de perdre le pouvoir et d’avoir à répondre de leurs actes et de manquer à leurs amis blancs qui les soutenaient aveuglément, il reste que les autres ennemis de la prise en main de notre souveraineté, savent ce qu’ils perdent dans nos pays et qui risque de provoquer de grands chamboulements dans leurs pays et même, pour le cas de la France en tout cas, à fausser tous ses calculs de progrès. Il y a un peuple qui soutient, c’est le plus important. Il faut faire attention à ne pas perdre cette ferveur car, comme l’a si bien dit Nicolas Machiavel dans son livre célèbre, Le Prince, même avec les armes, l’on ne peut gouverner, sans les cœurs des hommes. Il ne faut donc pas perdre les cœurs des hommes, de ces nombreux Nigériens et Nigériennes qui ne demandent rien que de la justice, qu’une meilleure gestion du pays pour un juste partage des richesses du pays. Ces militaires ont un contrat moral avec ce peuple et l’ensemble de ses leaders religieux qui, dans un mouvement d’ensemble, eux qu’on emprisonnait aussi en d’autres temps, avaient été de tous les combats, de toutes les veilles citoyennes.
Avoir de l’audace
La gestion de l’Etat ne peut s’accommoder de certains comportements et notamment d’indulgences qui voudraient que l’on tente de protéger des amis, un clan. La situation de ce pays est si grave qu’il est impossible de faire un tel jeu. Quand on regarde ce qui se fait autour de nous, sur le continent, l’on ne peut que croire aux risques d’une telle démarche à une époque où les peuples s’éveillent, prennent leurs responsabilités. Les Nigériens ne retourneront plus dans le trou où les sortait l’armée. Il ne faut donc pas amener les peuples dos au mur. Forcément, ainsi que l’enseigne la dialectique du pouvoir et du devoir, et comme on peut le lire dans Antigone de Jean Anouilh, le pouvoir ne peut s’accommoder de sentiments quelconques. Quand on gouverne, pour le bien, on a une main qui ne tremble pas pour châtier qui qu’il soit. C’est aussi cela qui fait l’homme d’Etat. Tandja, n’avait-il pas fait arrêter son ami, Dan Foulani ? Quand les raisons d’Etat commandent la rigueur, on n’hésite pas, pour la paix sociale et pour son image à soi. On ne peut pas faire une révolution sans marcher sur des gens qui ont vendu le peuple, qui ont fait le mal, qui ont réduit l’Etat à leurs personnes, à leurs familles, à leurs enfants, à leurs épouses. La conduite de l’Etat ne peut se faire dans l’hésitation du fait d’appréhensions qui n’ont pas droit pas d’être. C’est grâce au soutien du peuple que le CNSP triomphait sur tout, parvenait à vaincre les résistances d’une France, toute chose que les Etats-Unis pourraient avoir comprise pour ne pas aller dans les mêmes comportements. Il ne faut donc pas gâcher ce rêve de liberté des Nigériens pour vivre dans le pays de justice et de paix auquel ils ont toujours cru mais que l’ancien régime est venu détruire. Il y a eu trop de larmes dans ce pays, les militaires au pouvoir doivent s’en souvenir. Issoufou aimait voir l’autre souffrir de ses faits, de ses brutalités, de ses méchancetés. Ce n’est pas humain, ce n’est pas politique. Ce n’est pas de la foi !
Il est donc important que le CNSP et le gouvernement comprennent que le seul travail de la Coldeff ne suffit pour réparer les plaies de ce pays qui a trop souffert. Au-delà de cette volonté de ramener jusqu’au centime l’argent qui a été volé à ce pays, il y a à ne pas oublier l’aspect pénal de ces actes répréhensibles. Tous doivent aller, après avoir remboursé, devant le Juge comme on le fera du voleur de cabri ou de marmite. Un voleur est un voleur, fut-il de luxe, et c’est justement pourquoi il n’est pas excusable quand l’autre, talonné par la misère et la survie, pourrait avoir quelques circonstances atténuantes.
Gouverner bien…
Gouverner bien, ce n’est pas seulement gérer délicatement les deniers publics. Le choix des hommes est sans doute un aspect de la gouvernance sur lequel aujourd’hui les Nigériens ont un œil critique. En effet, ils ne peuvent pas comprendre, que pour conduire la révolution actuelle, le CNSP ne trouve mieux à faire qu’à garder avec lui, dans la gouvernance nouvelle du pays, les mêmes cadres de l’ancien système, coupables des maux que le même CNSP dénonçait pour justifier sa prise du pouvoir. Il est absolument important que les nouvelles autorités rectifient le tir, car tout peut manquer à ce pays sauf des cadres valeureux, intègres, et compétents. Tout le monde a pu comprendre que, dans l’administration, ainsi que nous l’écrivions depuis sept mois, le personnel hérité de l’ancien régime avait stratégiquement fait allégeance aux nouvelles autorités en se montrant coopératif et faussement compétent pour aider à apporter les changements attendus. Le parti déchu pouvait d’ailleurs conseiller cette attitude au reliquat de personnel qu’il laissait afin qu’ils protègent les arrières de la pègre de l’ancien régime. Dans certains ministères, cela semble bien fonctionner car l’on voit de plus en plus de cadres, ressuscités qui reviennent, reprenant les commandes de ces ministères. C’est le CNSP et le Général Tiani qui doivent veiller sur les nominations et sur la qualité des hommes et des femmes promus si tant est que le choix est d’aller de l’avant, de changer et maintenir le peuple à leurs côtés.
Ça donne à réfléchir….