Le Programme Kandadji est un projet très important pour le Niger. Attendu avec impatience depuis plus de 60 ans, sa mise en œuvre a été impactée négativement par un certain nombre de faits saillants, en termes de goulots d’étranglement et/ou de difficultés majeures. On note, entre autres, une dégradation de la situation sécuritaire dans la région-mère du programme, des difficultés relevant du maître d’œuvre ainsi que la situation consécutive aux sanctions imposées à notre pays. Voici tout ce que vous devez savoir de l’exécution en cours du Programme Kandadji.
Le Programme Kandadji est l’un des plus vieux et grands rêves du Niger. Ses promesses sont multiples. Entre autres, la mise en valeur du barrage de Kandadji et ses ouvrages annexes est non seulement synonyme de souveraineté énergétique pour le Niger, mais favorisera également l’exploitation de plusieurs milliers d’hectares pouvant contribuer de façon déterminante à l’autosuffisance alimentaire. Son exécution, maintes fois avortée, est depuis quelques temps en cours. Cependant, elle fait face à des difficultés diverses auxquelles il va falloir rapidement trouver des solutions alternatives en vue d’avancer conformément à l’agenda et de pouvoir parachever les ouvrages attendus.
De la dégradation de la situation sécuritaire dans la région de Tillabéry et de la pandémie de COVID 19
Dès la première attaque terroriste dans la région (Inatès, le 10 décembre 2019), le bureau d’études français TRACTEBEL Engineering S.A. assurant la surveillance et le contrôle des travaux de construction du barrage, a abandonné le chantier. Sans bureau de contrôle, les travaux sur les ouvrages définitifs du barrage ont été suspendus, l’entrepreneur focalisant ses activités sur les installations de chantier et de sécurité en attendant le recrutement d’un nouveau bureau de contrôle. La dégradation de la situation sécuritaire a également eu un important impact sur les différents processus d’acquisition en conduisant les prestataires expérimentés soit à ne pas soumissionner, soit à exagérer leurs offres. Mais il n’y a pas que ça. La propagation de la pandémie de COVID-19 à partir de Mars 2020 a eu pour conséquence la fermeture des frontières ainsi que la suspension de la mobilisation des personnels expatriés et des matériels et matériaux importés, occasionnant l’arrêt de certaines prestations.
De la faible capacité managériale de la direction des travaux de l’entreprise CGGC
La faible capacité managériale de la direction des travaux de l’entreprise CGGC s’articule autour de trois aspects essentiels : le personnel, les matériels et matériaux de l’entreprise ainsi que la prise en charge de l’alimentation des Forces de défense et de sécurité (FDS). À propos du personnel, il faut noter que le délai entre l’élaboration de son offre (mai 2017) et le démarrage effectif des travaux du lot 1 (janvier 2019) a conduit l’entreprise CGGC à réaffecter une bonne partie du personnel de l’offre sur d’autres chantiers. Les curriculums vitae (CV) de remplacement soumis à l’approbation du maître de l’ouvrage (ABK) ont plusieurs fois été rejetés. Par manque de personnel spécifiquement dédié, l’entreprise éprouve de sérieuses difficultés à mettre en œuvre les mesures de sauvegarde environnementale et sociale et à produire des documents techniques en français (presque tous les traducteurs sont des traducteurs littéraires).
En ce qui concerne les matériels et matériaux de chantier de l’entreprise, il y a également à noter leur mobilisation très tardive et incomplète. Quant à la prise en charge de l’alimentation des FDS assurant la protection du chantier et des bases-vies, comme prévu au contrat du lot 1, il convient de souligner que durant toute l’année 2023, l’entreprise CGGC n’a réglé aucune des factures de leurs frais d’alimentation.
Des difficultés relevant du maitre d’œuvre
L’exécution en cours du programme Kandadji est aussi confrontée à un problème de communication entre parties prenantes. Le personnel expatrié de l’équipe du maître d’œuvre ne maîtrisant ni le français (langue du maître de l’ouvrage) ni le chinois (langue de l’entrepreneur), ce qui rend tout échange et partage très difficile, affectant du coup l’harmonie du travail. Outre ce problème crucial de communication, il y a lieu de relever les prix de l’offre très bas, ne permettant pas le recrutement d’experts hautement qualifiés. L’absence d’un spécialiste «Hygiène-Santé-Sécurité- Environnement (HSSE)» au sein de l’équipe du maître d’œuvre pour le suivi de la mise en œuvre des mesures de sauvegarde environnementale et sociale fait grandement défaut.
Au niveau du maitre d’ouvrage, les difficultés prennent essentiellement le contour de retards dans les procé- dures d’exonération et de dédouanement du matériel importé par l’entreprise dans le cadre des travaux du lot 1. On y note aussi bien des retards dans le paiement des dé- comptes de l’entreprise qu’une insuffisance des ressources humaines de l’ABK en passant par la lenteur dans les processus d’acquisitions.
Des difficultés relevant des Partenaires techniques et financiers (PTFs)
Il n’y a jamais deux sans trois, dit-on. En termes de retards, il n’y a pas que le maître d’ouvrage. Il y a aussi le groupe des partenaires techniques et financiers qui s’illustre sur ce chapitre notamment dans le paiement de l’avance et des décomptes. À ce jour encore, ni l’avance de démarrage, ni aucun autre décompte n’a entièrement été payé. L’entreprise avance souvent cet état de fait pour justifier ses lacunes. C’est sans compter les réactions tardives pour certaines demandes d’avis de non objection, notamment pour les avenants au contrat du lot 1, le prestataire de mise en œuvre du PAR 2A, et d’autres études et actions préalables relatives à la réalisation des travaux. Quant à la coordination de plusieurs bailleurs de fonds, on relève un problème de compatibilité des procédures d’acquisition, notamment le critère de provenance (exemple de la Banque mondiale, de la BAD et de la BID pour le financement du bureau de contrôle des travaux du lot 1).
De la situation née des sanctions imposées à notre pays
La situation née des évènements du 26 juillet 2023 a impacté l’avancement des activités du fait de da suspension des décaissements par certains bailleurs de fonds. Suite à ces suspensions, le montant de chaque décompte de l’entreprise sera amputé de 47,01% dont 20,76% pour la BAD, 3,09% pour la BIDC, 10,74% pour la BOAD et 12,42% pour la BID (4,63% pour le génie civil et 7,79% pour les équipements hydromécaniques correspondants entièrement pris en charge par la BID).La fermeture des frontières a rendu l’approvisionnement du chantier en matériaux importés très difficile, voire impossible et la frilosité de certains prestataires ne rend pas les choses particulièrement faciles. L’état d’exécution du programme «Kandadji»
Les difficultés, les unes plus corsées que les autres, ont impacté sur le calendrier d’exécution du programme
Kandadji, tant dans la composante A constituée du barrage et de ses ouvrages annexes qu’au niveau des équipements Hydromécaniques et Installation Electrique Générale de l’Usine (Lot 2) ou encore de la construction de la route de contournement du barrage de Kandadji (Lot 4), entre autres.
De la composante A : barrage et ouvrages annexes
Pour les travaux de génie civil, équipements hydromécaniques et installation électrique générale du barrage (Lot 1), Le marché attribué à l’entreprise CGGC a été mis en vigueur le 26 décembre 2018 pour un délai de 46 mois pour le lot 1A (barrage à la cote224) et 12 mois pour le lot 1B (barrage à la cote 228).Du fait des difficultés ci-dessus, le délai d’exécution des travaux est arrivé à terme (le22/10/2022) alors que l’avancement physique des travaux n’est qu’à 25%.L’élaboration d’un avenant pour la prolongation du délai d’exécution des travaux nécessitant beaucoup d’échanges entre les parties (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprise et Ptfs), un ordre de service est intervenu conformément au contrat, pour la prolongation du délai des travaux de 17 mois. Cet ordre de service a été notifié à l’entreprise le25/09/2022 par l’ABK.
Des démarches ont du coup été entreprises pour améliorer l’exécution du marché du Lot 1. Ces démarches ont été faites auprès des Ptfs, du siège de CGGC et de l’ambassadeur de Chine au Niger. À l’issue de la réunion (réunion à laquelle avaient pris part les représentants du ministère du Planet ceux de l’ABK) organisée à Washington en marge des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fmi pour examiner la situation des paiements à l’entreprise CGGC, les partenaires ont réaffirmé leur volonté de poursuivre leur appui au programme «Kandadji» et de payer régulièrement les décomptes qui leur seront soumis. La réunion de haut niveau à Djeddah (Arabie Saoudite) avec le Groupe de coordination des Fonds arabes a, quant à elle, permis de faire la situation des paiements à l’entreprise CGGC par chacun des partenaires du groupe de coordination des Fonds arabes. À l’issue de la réunion, les participants se sont même engagés à éponger leurs arriérés vis-à-vis de CGGC et de payer régulièrement les décomptes qui leur seront soumis.
Les conclusions de ces réunions ont donc rassuré quant à la volonté des PTFs d’accompagner la mise en œuvre du programme Kandadji. Ils ont convenu d’éponger leurs arriérés et de payer régulièrement les décomptes qui leur seront soumis. Malheureusement, au moment de procéder aux différents paiements, la garantie de bonne exécution pour les travaux du lot 1 n’était plus valide(depuis le 14 mai 2023), ce qui a conduit à la suspension des opérations. Du fait de cette situation, l’entreprise CGGC dit ne plus disposer de ressources financières lui permettant d’assurer l’approvisionnement du chantier en matériaux et matériels nécessaires au bon déroulement des travaux. À plusieurs reprises, le chantier a été victime de rupture de stocks de matériaux et matériels (ciment, carburant, explosifs, etc.). Au cours des mois de mai et juin 2023, le chantier était quasiment à l’arrêt. L’entreprise n’ayant pas renouvelé la garantie de bonne exécution, aucun paiement ne peut lui être fait et les travaux allaient inéluctablement s’arrêter par manque de ressources.
Dans la perspective de l’accélération des travaux du lot 1, l’ABK a aussi entrepris des démarches en direction du siège de l’entreprise CGGC. Il avait alors été demandé à la haute direction de CGGC d’accompagner sa direction de projet à Kandadji par une mise à sa disposition de ressources suffisantes pour une mise en œuvre cohérente des travaux de construction du barrage. À cet effet et après une série d’échanges par vidéoconférence, CGGC a dépêché au Niger une délégation conduite par un de ses vice-présidents. Pour le siège de CGGC, il ne lui est plus possible d’aller au-delà des appuis déjà concédés à la direction du projet Kandadji (40 millions de dollars US) ; des appuis qui ont dépassé le seuil maximum de 15% autorisé. CGGC a alors proposé de réaliser le barrage en BOT, ce que la partie nigérienne n’a pas accepté. Après le rejet de l’option BOT, CGGC a requis de la partie nigérienne une garantie lui permettant de réaliser le barrage sur fonds propres. Il a alors été demandé à CGGC de préciser la forme que doit revêtir la garantie souhaitée. À ce jour encore, la précision de CGGC est toujours attendue.
Des démarches furent également entrepris auprès de l’ambassadeur de Chine au Niger par le biais des plus hautes autorités de notre pays qui ont, à plusieurs reprises, reçu en audience l’ambassadeur de Chine au Niger et sollicité de lui qu’il intercède auprès des responsables du siège de l’entreprise pour apporter les appuis nécessaires à CGGC-Niger pour l’exécution de son marché.
De l’avancement des travaux au10 août 2023
Le taux d’avancement global des travaux est 30,5% au 10 août 2023. Depuis lors, les travaux sont à l’arrêt. Ce faible taux d’avancement s’explique non seulement par les difficultés décrites ci-haut, mais aussi par les contraintes ci-après :1. Le non renouvellement de la garantie de bonne exécution dudit marché arrivée à échéance le 14 mai 2023. À la péremption de la garantie, l’approbation des décomptes de l’entreprise par l’ABK et leur paiement par les partenaires sont suspendus. Sans cette garantie bancaire, aucun paiement ne sera effectué au profit de l’entreprise CGGC. À ce jour encore, l’entreprise n’a toujours pas renouvelé cette garantie.2. La suspension, de façon unilatérale, des travaux du lot 1 par l’entreprise, suite aux événements du 26 juillet2023, arguant un cas de force majeure. Conformément à l’article 18.3du CCAG, l’ABK a réfuté le cas de force majeure car aucun espace de chantier n’a été impacté par les événements sus-indiqués. L’ABK reconnait néanmoins que l’exécution des travaux est rendue plus difficile avec la fermeture des frontières, mais cela est géré parle contrat.
Les travaux demeurent toujours suspendus depuis le 10 août2023.Des équipements hydromécaniques et installation électrique générale de l’usine (Lot 2)Le marché a été signé le 29/12/2020 avec le Groupement “CGGC/ ZHEFU pour un montant de 67 107 472 249 FCFA HT. Il est financé à hauteur de 56% par la Banque mondiale (BM) et 44% par l’Agence française de développement (AFD).Le taux d’avancement est de l’ordre de 16% au 31 octobre 2023.Après la conception de base, les tests sur modèles réduits de la turbine en usine ont été réalisés avec succès du 4 au 8 septembre 2023. L’étape suivante devrait être la conception et la fabrication des turbines. Cette activité sera sérieusement impactée par la suspension des décaissements par la Banque mondiale et l’Agence française de développement.
De la construction de la ligne électrique 132 kV, double terne, Kandadji-Niamey et du poste d’arrivéeassociée (Lot 3)
Le contrat avec l’entreprise indienne « Kalpataru Power Transmission Ltd » a été approuvé le 3 mai 2022 pour un montant de 16 553 726 812 FCFA HT et une durée d’exécution de 30 mois. Il est entièrement financé par la Banque islamique de développement (BID). Les travaux ont démarré le 25 octobre 2022.Au 31 octobre 2023, les réalisations relatives aux travaux d’approvisionnement et de construction des équipements ont atteint les niveaux de 21% pour la construction de la ligne. L’avancement des travaux est ralenti par le fait que le plan d’actions de réinstallation (PAR) ne soit pas encore disponible et l’étude d’impact environnemental et social (EIES) du chantier, non encore validée. En ce qui concerne le poste, sa délocalisation de Gorou Banda à Bangoula et les impacts associés sont en cours d’étude par le bureau d’étude FEEDBACK en charge du contrôle des travaux. Les sanctions imposées à notre pays rendent difficiles l’approvisionnement du chantier en matériaux et matériels importés. De même, le compte bancaire local n’étant plus approvisionné, il devient difficile pour l’entreprise de satisfaire à ses obligations contractuelles.
De la construction de la route de contournement du barrage de Kandadji (Lot 4)
Le marché initial, signé le 8/01/2020 pour une durée d’exécution de 20 mois, a été résilié le 16/11/2022. Le nouveau contrat des travaux d’achèvement a été approuvé le 13/06/2023 pour un montant de 13 124 402 465 FCFA HT et un délai d’exécution de 17 mois. L’avancement physique des travaux est de 18%au28/09/2023. L’avancement normal des travaux a été entravé par l’insécurité dans la zone du projet, le chantier ayant subi trois attaques, le 01, le 19 et le 28 septembre 2023. Et malgré le renforcement de la sécurité du chantier, les travaux n’ont pas encore repris, l’entreprise rencontrant d’énormes difficultés pour accéder aux ressources générées par ses dé- comptes, la BID ne pouvant plus effectuer des opérations de transfert de fonds sur des comptes au Niger.
De la maîtrise d’œuvre des travaux de construction du Barrage (Lots 1 et 2)
Le contrôle des travaux des lots 1 et2 est assuré par le bureau d’études indien Energy Infratech Pvt Ltd(EIPL). Le contrat a été approuvé le15 janvier 2021 pour un délai de 72mois (48 mois pour le lot 1A, 12 mois pour le lot 1B et 12 mois pour la période garantie).Le montant du contrat est de9 027 500Dollars USHT et 1 132 114 362 F CFA HT, conjointement pris en charge par la BID (80,51%) et le Gouvernement de la République du Niger (19,49%). Le délai contractuel est consommé à66% pour le lot 1A. Un avenant doit être élaboré et signé par les parties pour tenir compte du retard accusé dans l’exécution des travaux du lot1A. La date limite des décaissements sur le financement de la BID étant prévue pour le 31 mai 2024, des arrangements doivent rapidement être trouvés afin de continuer la prise en charge du Maitre d’œuvre (EIPL). Suite aux sanctions imposées à notre pays, les transferts sur le compte local du maître d’œuvre ne sont plus possibles, ce qui rend difficile la satisfaction des obligations contractuelles d’EIPL. Les travaux de génie civil, équipements hydromécaniques et installation électrique générale du barrage (lot 1) sont au centre de toutes les activités de mise en œuvre du programme «Kandadji». Il importe donc de veiller à ne pas trop retarder l’exécution de ces travaux. Pour accélérer ces travaux du lot 1, le Conseil d’administration de l’ABK a formulé d’importantes résolutions et recommandations qui seront soumises aux autorités de tutelle de l’Agence, à savoir le Cabinet du président de Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) et le ministère délégué auprès du Premier ministre chargé des Finances.