Le tonnage détourné, les auteurs, les bénéficiaires et les prétextes
Le Niger est un pays régulièrement confronté à de graves sécheresses qui ont parfois décimé populations et cheptel. Cette année encore, il est confronté à une situation alimentaire et fourragère des plus préoccupantes. L’école en fait les frais, avec des milliers d’abandons à Zinder, Tahoua et Maradi. Officiellement, il faut 124 751 tonnes de céréales, d’aliments bétail et de semences, dont 43 000 tonnes de céréales. Une urgence pour sauver le Niger profond ! Une situation précaire et inquiétante qui a prévalu presque tous les ans. C’est notamment le cas en mars 2016 où, selon la Cellule de Coordination Humanitaire, c’était précisément deux millions de personnes qui avaient besoin d´une aide alimentaire ; 1,9 million d’une aide nutritionnelle, tandis que 428 000 migrants, réfugiés, déplacés, retournés et familles hôtes vulnérables avaient également besoin d’une forme d’assistance humanitaire. En outre, le nombre de personnes qui risquaient d’être affectées par les épidémies était estimé à 24 000 tandis que les potentielles victimes des inondations étaient entrevues dans l’ordre de 105 000. C’est cette situation préoccupante à plus d’un titre, que les maîtres de Niamey avaient saisie comme alibi pour solliciter auprès de pays amis une aide alimentaire. La République islamique du Pakistan a entendu ce vrai-faux cri du cœur des autorités nigériennes et a mis à la disposition du Niger 15 000 tonnes de super riz basmati. Une variété de riz de haute qualité qui se vend très cher sur le marché. Ce riz sera convoyé par le Pakistan jusqu’au port de Cotonou où il est livré au Niger à travers la personne du directeur général de l’OPVN [Ndlr : Office des produits vivriers du Niger] à l’époque des faits, Alassane Souleymane. La disgrâce d’Alassane Souleymane serait-elle un acte de représailles des commanditaires de l’affaire du riz pakistanais ? On l’ignore toujours. Mais, il est curieux de constater qu’Allassane Souleymane a été « remercié » en pleine affaire du riz pakistanais. Le coup est en fait trop dur à supporter, aussi bien pour les Nigériens que pour les partenaires qui découvrent que la misère des populations nigériennes fait les affaires de quelques individus tapis au sommet de l’État.
Le « sorgho », comme dirait feu Kountché, a été détourné et vendu
Courant 2016, à la veille des élections générales de fin de mandat, la République islamique du Pakistan fait un don de 15 000 tonnes de super riz basmati, sous emballage de 50 kg, au peuple de la République du Niger, en proie à une sérieuse crise alimentaire. Une aide alimentaire, disent les autorités nigériennes, destinées à « améliorer les conditions de vie des victimes des attaques terroristes de la secte Boko Haram et des ménages en insécurité alimentaire ». Arrivées au port de Cotonou le 14 février 2016, elles y sont déchargées et stockées dans deux magasins. Le 4 mai 2016, en pleine période de soudure [Ndlr : période difficile où le grain manque pour vivre jusqu’aux prochaines récoltes], 5000 tonnes de cette aide alimentaire sont bazardées à un heureux élu dont l’identité est connue. Il s’agit de Difezi et Fils, une société anonyme à responsabilité limitée sise à Cotonou, au Bénin. Heureux élu car les 5000 tonnes ont été vendues à vil prix (230 000 FCFA la tonne) par une société dénommée MZK traders dont le directeur général est un certain Khalid Mehmood Khan. Probablement un Pakistanais. Du moins, pourrait-on le penser. Une autre histoire sulfureuse dans ce scandale ! Khalid Mehmood Khan agissait pour le compte de l’État du Niger ; mission qui lui a valu une coquette fortune. 150 millions de francs CFA empochés pour avoir servi d’intermédiaire dans cette transaction frauduleuse. Au lieu de sauver des vies, le “sorgho”, comme dirait feu Kountché, a été détourné et vendu. Une histoire qui le fera retourner dans sa tombe, tant l’officier considérait que s’il fallait investir tout le budget national du Niger, il le ferait volontiers pour sauver les populations nigériennes de la famine. Hélas, au Niger d’aujourd’hui, on en détourne pour construire des immeubles. Il ne s’agit d’ailleurs pas que de 5000 tonnes. Mais, bien plus.
La part a été touchée dans une agence Ecobank en face de la Sonuci
Le détournement, suivi de la vente de l’aide alimentaire pakistanaise, a une histoire. Une histoire que Le Courrier a réussi à démêler grâce à des documents exclusifs dont il a reçu copies. On comprend dès lors pourquoi celui qui est désormais ancien directeur général de l’OPVN n’a jamais été inquiété malgré les révélations du Courrier. Il sait sur quoi il marche. L’histoire du détournement de l’aide alimentaire pakistanaise remonte au 24 mars 2016. Ce jour-là, le Cabinet du Premier ministre Brigi Rafini, en réponse à une correspondance dont on ignore le contenu, et qui proviendrait de l’ambassade du Pakistan au Niger, adresse un courrier au diplomate pakistanais. Dans cette lettre signée de son directeur de Cabinet, Mahamadou Gado, Brigi Rafini fait écrire que le gouvernement nigérien « notifie son autorisation de vendre les 5000 tonnes de riz basmati pour couvrir les frais logistiques liés au don et procéder à l’achat de 5000 tonnes de riz 5% ». Mahamadou Gado, qui précise qu’il écrit sur instruction de Brigi Rafini, souligne que la proposition permettra d’acquérir 16 000 tonnes de riz 5%. Selon les autorités nigériennes, la vente des 5000 tonnes de ce riz particulièrement cher — le sac se vend à 49 000 FCFA à Lomé — permettra non seulement de payer les frais de location des magasins du port, mais aussi de remplacer, avec du riz de moindre qualité (5%), les 5000 tonnes de super basmati. En réalité, la lettre du Cabinet du Premier ministre est ambigüe. Elle ne parle pas de la vente de la totalité des 15 000 tonnes. Elle souligne que la commercialisation des 5000 tonnes lui fournira, en plus des frais logistiques, 16 000 tonnes de riz 5%. Mystère et boule de neige ! De fait, les 5000 tonnes de super basmati ont été vendues mais les revenus tirés de la vente, 1 milliard 150 millions, ont pris une autre destination. Outre les 150 millions qui sont tombés dans l’escarcelle de Khan, d’autres montants, notamment 24 500 000 FCFCA et 38 millions ont été affectés à d’autres personnes de la chaîne de vente. Le reste, soit 737 500 000 FCFA, a été viré dans un compte de la Bsic, à Cotonou. Transférés plus tard à Ecobank Cotonou, ce montant, visiblement la part du lion, a été encaissé dans une agence Ecobank de Niamey, située en face du portail central de la Sonuci [Ndlr : Société nigérienne d’urbanisme et de crédit immobilier].
On quémande de la main droite, on détourne de la main gauche
Mais l’histoire du détournement de l’aide alimentaire pakistanaise ne s’arrête pas là. Elle est encore plus dramatique pour les populations nigériennes en proie à l’insécurité nigérienne. De grandes affaires ont été faites sur leur dos et à propos d’un riz demandé et obtenu en leur nom. Un crime des autorités nigériennes qui faisait état d’un besoin de 124,751 tonnes de céréales, d’aliments bétail et de semences pour juguler la crise alimentaire et fourragère, soit 142 milliards de francs CFA. Ainsi, dans sa lettre par procuration, Mahamadou Gado informe sur la destination des 10 000 autres tonnes de riz basmati. Voici ce qu’il écrit au diplomate pakistanais : « …je voudrais vous rassurer que les fondations Tatali Iyali [ndlr : fondation de Malika Issoufou Mahamadou] et Al-Noor Globaux recevront une quantité de ce don du fait de leur contribution dans le cadre des actions humanitaires salvatrices en faveur des populations nigériennes vulnérables ». Ça y est ! Malika Issoufou, qui a déjà été citée dans maintes affaires sulfureuses, notamment l’affaire des fraudes au concours d’entrée à la Fonction publique au titre du ministère de la Santé, a eu sa part.
Al-Noor Globaux, une fondation totalement inconnue des milieux humanitaires au Niger
En plus de la quantité du riz basmati qui a été cédée à Tattali Iyali de Malika Issoufou, la lettre de Mahamadou Gado fait cas également d’une autre cession au profit de la fondation Al-Noor Globaux. Une fondation totalement inconnue des milieux humanitaires au Niger. Elle n’existait pas sur le répertoire pourtant actualisé des organisations non gouvernementales établi par OCHA Niger. Ce répertoire date de décembre 2016 alors que les faits incriminés remontent à mars-mai et juillet 2016. La fondation Al-Noor Globaux, sensée intervenir au Niger dans le domaine humanitaire, n’existait nulle part. Un constat qui jette le trouble sur la destination finale qu’ont prise les 10 000 tonnes de super basmati. Car, selon toute vraisemblance, il pourrait s’agir d’une fondation-écran visant à capter, pour des fins inavouables mais assurément détestables, une bonne partie, sinon la totalité des 10 000 tonnes de super riz basmati qui restaient au compteur après la vente expresse des 5000 tonnes. La question qui demeure est de savoir si, finalement, toutes les 10 000 tonnes ne sont pas tombées dans l’escarcelle de Tatali Iyali de Malika Issoufou.
Pourquoi Alassane Souleymane aurait-il fait de la résistance avant de donner son quitus à la société Difezi et Fils ?
Dans ce détournement de l’aide alimentaire pakistanaise, le sort de l’ancien directeur général de l’OPVN est assez énigmatique pour les Nigériens. Interpellé par la Police judiciaire, il a été rapidement laissé tranquille. Pourtant, il est un acteur de premier plan de l’affaire. C’est en son nom que la cargaison de riz est arrivée et stockée au port de Cotonou. C’est également lui qui a dû, en fin de compte, donner le quitus indispensable à la société Difezi et Fils, pour prendre possession de ses 5000 tonnes de riz basmati. Alors qu’elle a acheté le 4 mai 2016 et payé au comptant dès le lendemain, la société Difezi et Fils n’a pu enlever sa cargaison qu’après une lettre d’Alassane Souleymane autorisant à livrer à celle-ci la totalité du tonnage indiqué dans le contrat d’achat-vente. Pourquoi Alassane Souleymane a-t-il donné son quitus qu’en juillet, soit deux mois après la transaction ? Aurait-il fait de la résistance parce que la clé de répartition des revenus tirés de la vente l’a carrément ignoré, alors qu’il était le seul à pouvoir autoriser l’enlèvement par la société Difezi et Fils des 5000 tonnes de riz basmati ? Chose curieuse dans sa lettre, Alassane Souleymane indiqua se référer à la lettre du Cabinet du Premier ministre et un message électronique qu’il aurait reçu du directeur général de Super maritime S.A, la société qui emmagasiné les 15 000 tonnes de riz basmati. Malgré ce retard dans la prise en main de sa cargaison, la société Difezi et Fils n’a rien perdu. Ayant acheté la tonne à 230 000 FCFA la tonne, alors qu’elle se vend, au bas mot, à 900 000 FCFA, elle est la plus grande gagnante de cette opération
Laboukoye
ENCADRÉ.
Abdul Qayyum Khalid Mahmoud Khan, vous connaissez ? Il s’agit de l’homme qui a servi d’intermédiaire dans la transaction des 5000 tonnes de super riz basmati à Cotonou (Bénin), les 4 et 5 mai 2016. Par le nom, et sur la base des informations obtenues par Le Courrier, l’intéressé est de nationalité pakistanaise, né le 7 mars 1970 à Rawalpindi, une ville de la province du Pendjab, au Pakistan. C’est la troisième grande ville du pays, après Karachi et Lahore, avec 4,5 millions d’habitants. Et pourtant, la copie du passeport versé au dossier de la vente des 5000 tonnes de riz basmati par Abdul Qayyum Khalid Mahmoud Khan est un document nigérien qui confère la nationalité nigérienne à l’intéressé et une résidence à Koira Kano, à Niamey. Ce passeport lui a été délivré le 19 juin 2014 et portait au bas la signature du commissaire principal de police Oubba Ibrahim.