Il faut à tout prix éviter le discrédit
16 mois après l’avènement du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp), les Nigériens sont plus que jamais dans l’expectative.Très tôt reconnue comme le tendon d’Achille des nouvelles autorités, la communication est lentement en train de devenir le goulot d’étranglement du régime de transition. La loi de l’omerta italienne a prévalu sur toute la ligne si bien que la spéculation a vite occupé l’espace public.C’est un fait. Mais, pourquoi une telle situation alors que le Cnsp a bénéficié d’un soutien populaire jamais égalé ? Comment refonder la gouvernance avec ceux qui ont ruiné le pays ? Des discours et des slogans abondamment servis et disséminés en français et dans toutes les langues du pays, portés souvent par des hommes crédités, hier, de bonne foi, mais qui, aujourd’hui, sont exposés à la risée populaire. Sur les réseaux sociaux notamment, ils sont victimes d’attaques multiples de citoyens déçus et choqués de les voir jouer dans un registre inattendu. Il n’y a plus que quelques rares voix à se faire entendre sur les questions cruciales de la libération des prisonniers politiques et de l’impératif d’une lutte sincère contre l’impunité.
Aujourd’hui encore, s’ils ne cachent pas leur désillusion, les Nigériens n’arrêtent pas de réclamer que justice leur soit rendue sur certaines affaires
En 16 mois, malgré les graves scandales financiers et humains qui ont scandé la vie de la 7e République, il n’y a pas eu une seule affaire qui a connu un épilogue judiciaire. Or, les attentes populaires sont fortes sur cette question. La grande mobilisation populaire qui a contraint les forces françaises à partir était d’ailleurs motivée par l’espoir d’une justice sociale revendiquée à cor et à cris. Aujourd’hui encore, s’ils ne cachent pas leur désillusion, les Nigériens n’arrêtent pas de réclamer que justice leur soit rendue sur certaines affaires. Sur les réseaux sociaux, une liste d’une quarantaine d’affaires emblématiques circule depuis de longs mois, réchauffée de temps à autre comme pour marteler l’entêtement des Nigériens à accorder la place qui doit être la sienne dans toute œuvre de refondation de la gouvernance.
Outre ces deux passifs lourds que le Cnsp traîne comme un boulet aux pieds qui l’empêche d’évoluer au rythme voulu, la gouvernance en cours a de quoi susciter des inquiétudes. Entre rumeurs, désinformations et faits réels, le Cnsp évolue dans un flou artistique qui abîme considérablement son crédit. De nombreux bruits d’affaires impliquant de hautes personnalités membres du Cnsp circulent sur les réseaux sociaux. À ce jour, l’opinion nationale n’a noté aucune mise au point, aucun démenti, encore moins de mesures draconiennes à l’encontre des pourfendeurs. Mais, plus que toute autre question, c’est le cas de l’ancien président Issoufou Mahamadou qui risque de porter un rude coup au crédit du Cnsp et de son président. Progressivement, l’intéressé pointe le nez dehors, osant chaque jour un peu plus. Pour leader politique incarnant le régime auquel le Cnsp dit avoir mis fin, Issoufou Mahamadou paraît disposer de plus que de la liberté.
Aucune action de coercition pour contraindre les opérateurs économiques aux prix convenus de commun accord.
Accusé de laxisme sur bien de questions à propos desquelles il est attendu pour une fermeté éloignée des pratiques actuelles, le Cnsp joue sa crédibilité. Pour ceux qui estiment que les régimes civils sont incapables de faire appliquer la loi et de préserver l’intérêt général, il faut bien s’accorder sur le fait que l’instance militaire ne donne pas encore assez d’arguments pour soutenir une telle thèse.
Dans des registres moins importants, des décisions prises mais jamais appliquées, il y en a à la pelle. À la faveur des sanctions imposées au Niger, le coût de la vie s’est considérablement accru. Les prix des denrées de première nécessité ont connu une envolée extraordinaire. Et, malgré les décisions du Cnsp, prises après concertation avec les opérateurs économiques importateurs de produits alimentaires, les prix sont restés à un niveau élevé. Les citoyens ont beau dénoncer, les commerçants sont restés de marbre et le Cnsp a joué au spectateur engagé. Aucune action de coercition pour contraindre les opérateurs économiques aux prix convenus de commun accord.
Le 28 septembre, c’est l’Administrateur délégué de la ville de Niamey qui a signé un arrêté portant interdiction de circulation des charretiers et chameliers vendant de la paille, du bois de chauffe et tous autres matériaux précaires de construction, d’élevage, de cuisson, etc. Aujourd’hui, c’est un arrêté depuis longtemps oublié. Il n’y a presque jamais eu d’application de la mesure.
À la veille du forum national inclusif qui fait déjà jaser à propos du nombre de délégués qui siégeront pour décider de l’avenir du pays, le Cnsp doit tout faire pour éviter le discrédit. Un défi de premier ordre dans un contexte où les limites, entre ceux qui aspirent au changement de paradigme en matière de gouvernance et ceux qui se battent pour un retour subtil de l’ordre ancien, sont poreuses.
Laboukoye