Peut-on décider sans les partis politiques ?
Annoncé pour se tenir depuis des mois, le forum national, face aux nombreux défis sans doute, a fini par être oublié des agendas de la transition. Et pour cause, selon certaines sources, la désignation des délégués confiée à certaines structures qui n’avaient en réalité aucune légitimité allait être biaisée car elles s’employaient à manipuler les listes, guidées par quelques calculs politiciens par lesquels certaines d’entre elles voudraient organiser leur retour, en contrôlant le forum par lequel ils pourraient imposer leurs idées à la refondation. Mais, depuis quelques semaines, sans que le gouvernement ni le CNSP ne communique sur le sujet, certaines sources ramènent au goût du jour la tenue du forum national qui, non encore tenu, met le Niger en retard par rapport aux deux autres pays de l’AES qui ont tenu les siens et ont même installé certaines institutions de leur transition et, souvent, sont en passe d’autoriser les activités des partis politiques. Alors que les deux autres disposent d’organes législatifs, au Niger, cela se fait attendre et il n’y a toujours pas de date en vue pour la tenue du forum, malgré les spéculations que l’on peut entendre ces derniers jours.
Au Niger, on ne sait rien encore du forum national, ni de son format, ni de ses probables participants, ni de son calendrier ni même, exactement, les sujets sur lesquels ils devraient se pencher pour baliser la nouvelle marche du pays. La question qui revient sans cesse dans les débats est avec : qui, devra-t-on organiser et tenir ce forum ? Et pour quelle durée ?
La question est cruciale dans un Niger où, après le coup d’Etat, l’on peut observer que bien d’acteurs de l’ancien régime restent sur place, occupant des responsabilités importantes dans la nouvelle administration mise en place par les militaires. Doit-on s’attendre à voir les mêmes réinvestir le forum pour venir le détourner à leur compte, ces hommes et ces femmes, pouvant encore user du pouvoir de l’argent qu’ils ont accumulé et conservé parce que la transition n’aura pas été capable de les faire rendre gorge pour restituer les biens mal acquis et toutes ces fortunes illicitement constituées.
On ne peut que se poser ces questions quand on sait que, venant au pouvoir, les militaires décidaient de suspendre les activités des partis politiques afin d’assainir et de décanter l’environnement politique morose, un acte tout à fait défendable face au contexte de refondation qu’ils décidaient de mettre en place. Mais, dans la perspective de la tenue prochaine du forum, c’est tout légitimement que l’on se demande, avec qui devrait-on organiser la grand-messe pour laquelle les Nigériens piaffent d’impatience à venir faire entendre des colères certes, mais aussi, on l’imagine, pour mener des réflexions fécondes sur l’avenir du pays, notamment sur le style de gouvernance qu’il faudra imaginer pour une démocratie à la senteur africaine, plus adaptée aux besoins et aux réalités de nos pays et, ce, pour une vitalité politique qui renforce la cohésion du pays et l’esprit de fair-play, car convenons-en, la démocratie, telle qu’importée, Made in France, au lieu de renforcer notre cohésion, nous a plus divisés et fragilisés, promouvant le gangstérisme et l’impunité qui ont fait de la concussion un raccourci pour s’enrichir. Et les hommes y venaient pour ça !
Mais, avant, parlons des formats possibles
Habituellement, les forums installés par les transitions dans le pays se font dans la configuration de ce qu’avait été la conférence nationale, elle-même qui aura été, selon certains analystes, un fiasco car, au lieu des questions essentielles, elle avait entrainé et trainé sur des sujets de peu d’importance qui nourrissent moins l’intérêt général pour ne servir que la curiosité de « politiciens bleus » qui connaissent peu la raison d’Etat et de ses responsabilités. Faut-il donc s’attendre de voir les syndicats investir le forum, quand, pendant douze années, ils avaient abandonné le terrain de la revendication et de la dénonciation pour soutenir, par leurs silences complices, des amis politiques qui ont passé tout leur temps à voler et à piller au su et vu de tous ? Ces syndicats, qui ont démissionné de leur rôle de gardiens de la démocratie et de la bonne gouvernance, peuvent-ils avoir à dire sur la gestion future du pays et sur ce qu’il faudra pour qu’il puisse mieux se porter à partir de cette transition ?
Il y a également les associations de la société civile, elles qui, face à la démission des syndicats, payant de leur liberté mainte fois arrachée parce qu’on les envoyait en prison pour les faire taire sans pour autant abdiquer, avaient été là, sur le terrain de la contestation, dénonçant les dérives du régime, ses abus, sa mauvaise gestion du pays. A côté de celle-là, il y a une autre société si-vile, se reconnaissant d’obédience proche du pouvoir, défendant, les yeux fermés, sa gouvernance même désastreuse, et abandonnant les intérêts du peuple, pour se mettre au service de prédateurs, d’hommes et de femmes qui pillent et volent. Cette catégorisation manichéenne de la société était ainsi voulue par les socialistes qui divisaient les Nigériens, en bon citoyens, ceux qui sont de leur côté pour défendre le mal, et les autres qui doivent le subir, mais défendant un idéal de vie et de gouvernance que le PNDS n’était pas prêt à accepter dans le pays qu’il conquiert. Quelle place peut-on donner à des gens qui n’ont rien vu du mal de la gestion mafieuse des trois Renaissances, couvrant par leurs mutismes complices, les raids que les socialismes menaient sur les deniers publics dévorés avec une telle gloutonnerie qu’en 2016 déjà – Brigi Rafini en sait quelque chose pour l’avoir souvent confié – le Niger tombait en faillite alors même qu’arrivant au pouvoir en 2011, Issoufou Mahamadou héritait d’un pays qui allait encore bien avec des comptes qui étaient garnis dans tous les placements de l’Etat, et qui, plus, n’était que raisonnablement endetté. Cela aussi, l’actuel Premier Ministre, pour avoir été Ministre des finance, avant le coup d’Etat qui reversait Tandja, le sait mieux que quiconque.
C’est sans doute dans la perspective de la participation au prochain forum de cette société civile compromise que l’on voit certains acteurs s’agiter depuis des mois à proposer leur soutien à la transition, ce après avoir été des partisans de l’attaque que la CEDEAO, sous la houlette de l’Elysée, projetait de porter contre le Niger. Ces gens, peuvent-ils donc avoir une parole crédible pour venir dire au forum qu’ils se soucient de ce pays, et de ce qu’il aille mieux ?
Par contre, on pourrait faire de la place au mouvement paysan nigérien qui doit, dans la refondation du pays, jouer un rôle important dans la redéfinition de l’économie nationale pour occuper au forum une place de choix afin qu’on entende sa voix, ses préoccupations légitimes, profondes et réelles. Il en est de même des opérateurs économiques dont les investissements orientés pourraient mieux déterminer l’avenir de l’économie nationale et du tissu industriel qu’on voudrait mettre en place.
Mais que dire des partis politiques ?
Peuvent-ils continuer à vivre dans la jachère, condamnés au silence, pour n’avoir rien à dire, y compris dans le prochain forum qui ne peut, sensément, se passer, sans qu’ils n’aient à dire leur mot dans l’avenir du pays, même si, en partie, c’est par le comportement des hommes politiques que tout ce qui est arrivé au pays est arrivé ? L’armée n’ayant pas vocation à garder indéfiniment le pouvoir, il est absolument impensable, pour ne pas aller à d’autres contradictions et d’autres déchirements, que les partis politiques soient tenus à l’écart des prochains débats qui devraient parler des problèmes du pays et de questions fondamentalement politiques. Tous les hommes politiques nigériens ne sont pas pourris. Et l’on connait bien ceux qui ont pillé le pays, l’ont plongé dans le gouffre et ont déchiré le tissu social.
La transition a, sans doute, conscience, quand elle peut voir que dans les autres pays, et notamment au Mali, l’étau se desserre peu à peu contre les partis politiques, qu’il y a à avoir un peu de souplesse dans sa manière de gérer le pays et d’entrevoir la tenue du prochain forum surtout quand on sait également que les pays n’ont pas les mêmes configurations pour être gérés de la même manière. Et il y a d’autant plus à être ici très prudent dans les choix qu’il faille éviter au pays de tomber dans les mêmes erreurs et les mêmes malaises, les mêmes que les militaires venaient régler. L’enjeu, on le sait, pour le CNSP, c’est de faire en sorte, lorsqu’il décidera de regagner les casernes, de pouvoir installer un pouvoir fort par sa légitimité, non par les armes qu’on pourrait mettre dans les mains de ceux qui pourraient assurer sa sécurité, afin de s’assurer qu’on a trouvé une personnalité influente, très intelligente, pouvant maintenir le pays, dans les choix politiques du CNSP et notamment pour rester dans le cadre de l’AES et éviter qu’un autre nous détourne et nous retourne, usant de ses vieilles amitiés, à la CEDEAO et dans le giron français que le pays quittait. Le défi reste donc pour les militaires de faire en sorte que tout ce qui a été tracé dans le cadre de l’AES demeure, et qu’avec les autres pays les mêmes projets soient poursuivis. Cette préoccupation vaut également pour le Mali et pour le Burkina Faso dont les efforts doivent se concentrer sur la continuation des projets de l’AES. De ce point de vue, dans le cas nigérien, même pour des raisons de vengeance, il n’est pas évident que le parti qui a été chassé du pouvoir puisse maintenir le pays dans le même élan pour poursuivre l’aventure de l’AES. On sait d’ailleurs que c’est misant sur une telle probabilité que la France cherche, depuis des moments, le moyen de faire tomber un nœud de la chaine, afin de briser la marche exaltante de l’AES. Les nombreux coups tentés pour déstabiliser le Burkina Faso, en tentant de faire tomber le Capitaine IB, en réalité, ne visent qu’à trouver le moyen de fragiliser l’AES, en réussissant à faire tomber un des trois régimes, et d’abord, pour des raisons que l’on peut imaginer, celui du Burkina Faso.
On comprend donc que le choix des hommes devant animer le prochain forum cause problème, et même constitue un dilemme pour la transition qui n’a toujours peut-être pas fini d’hésiter, comprenant peu ce qu’elle à faire pour que ses choix sauvent le pays. D’ailleurs, quelle personnalité d’envergure devra diriger le forum ? Est-ce encore un militaire qu’il faudra choisir ? Un politicien, une politicienne ou un acteur de la société civile de bonne adresse dont l’amour pour ce pays serait connu de tous ?
Préréglages nécessaires…
Il faut éviter que le forum sombre dans l’improvisation et, c’est pour cela que, nécessairement, il faudra tracer son agenda pour qu’en amont on lui indique les sujets sur lesquels il devra débattre et dans quels délais tout devra se faire. Mais, il est évident qu’on ne peut pas aller sans parler des échecs de notre démocratie, d’en dégager les causes et d’en situer les responsabilités pour décider, par des moyens pratiques à mettre en œuvre, des solutions pour les éviter à l’avenir afin de nous mettre à l’abri de l’éternel recommencement. Les transitions n’ont aucun intérêt à s’éterniser au pouvoir, et des militaires peuvent le savoir mieux qu’un autre.
Il y a trop d’ennemis autour des pays du Sahel . La France en premier.
Mairiga