Rester sur nos choix
Votre journal, Le Courrier, comme tous les Nigériens l’ont voulu, a fait le choix responsable d’accompagner la transition, convaincu de la noblesse du combat que menait le CNSP pour libérer le pays du joug néocolonial de la France. A cette idée, nous croyons fermement, et cela justifiait le soutien que nous avons décidé pour marcher à donner corps à de tels choix. Pour autant, nous voudrions rester vigilants, pour ne pas renoncer à nos convictions de paix et de justice, pour alerter chaque fois que de besoin, afin d’éviter de dévier des chemins tracés. Nos critiques sont donc un cri, des alertes pour interpeller ceux qui gouvernent à faire attention au pays et à ne pas oublier des discours qui ont permis de nouer un pacte tacite avec un peuple qui avait cru.
Loin de nous toute méchanceté et toute renonciation à un soutien qui est, du reste, aussi celui d’un peuple auquel nous nous identifions, nous restons dans la dynamique, mais demeurant une conscience de l’époque. Notre pays est à la croisée des chemins, marchant désormais avec d’autres qui ont fait les mêmes options pour assumer leur souveraineté inaliénable. On ne peut donc pas aimer sans aviser sur ce qui pourrait conduire à un fiasco redouté alors que, ce que nous attendons, ce que nous voulons pour cette transition, c’est sa réussite qui délivrera le pays et remettra le Niger sur la voie du progrès et de la liberté. Cette transition, en restant fidèle à ses choix premiers, du moins ceux défendus auprès du peuple et auxquels il avait cru, et pour lesquels les autorités ont pris des engagements qui ont force de serment, doit nécessairement – et peut-être même forcément – réussir. Ce ne peut être qu’une déception dévastatrice qu’un jour le peuple réalise que la transition a échoué et qu’on serait retourné à la case départ. Le Nigérien ne peut pas être moins intelligent que nos frères et sœurs de l’AES pour ne pas être capable de provoquer les mêmes transformations aujourd’hui visibles chez les voisins. L’enfant que l’on aime, on le sermonne, on le gronde même, on lui dit vertement ses erreurs et des vérités qui blessent. Eduquer ne se complait pas dans des mollesses. C’est un principe. Or, quand il s’agit de gouverner, c’est encore plus compliqué pour ne pas dérailler, ou se tromper, par calculs ou par quelque inadvertance. Aucun prince n’est parfait et est susceptible de s’égarer. Il faut lui donner des lumières pour éviter l’égarement. C’est notre rôle. C’est le rôle d’une presse responsable. Il faut l’assumer, et c’est peut-être l’envers d’un métier difficile comme le nôtre. Nous sommes très souvent incompris, appréciés que lorsqu’on est réduit à jouer aux laudateurs intéressés. Cependant, pour nous, dire le bien, ne doit pas nous exonérer de dire également le mal. Nous savons dire les mérites. C’est cela l’objectivité qui reste notre boussole.
Nos inquiétudes sont donc légitimes et raisonnables pour comprendre nos critiques qui ne portent aucune odeur de malveillance. Elles ne veulent que le meilleur pour ce pays et pour ses autorités. Leur succès sans faute leur fera une place de choix au sein de l’AES où nous ne devrions pas constituer le maillon faible des trois révolutions. La nôtre ne peut se réduire à la critique acerbe de la France. Mais, il s’agit aussi d’aller à des transformations intérieures, à des courages de certaines décisions qui changeront le pays et le citoyen. Il est donc important que les gouvernants entendent ces voix qui râlent, ces colères qui grondent, ces angoisses qui titillent les consciences douloureuses d’un peuple qui doute. Le silence face à tant d’amertume et d’appréhension est souvent lu comme un mépris. Or, quand on gouverne un peuple, on l’aime. On l’écoute. Notre rêve est de voir ce peuple et sa transition communier, se parler, s’écouter, se comprendre. Ces déchirements qui arrivent inquiètent. Personne ne doit faire semblant de ne rien entendre et de ne rien voir. Les pyromanes, avec leurs choix qui correspondent à des agendas bien connus, ne doivent pas nous perdre. Soyons lucides et regardons le Niger, et le Niger seul.
Ali Soumana