Qu’attend le CNSP pour sanctionner ?
Si les Nigériens ont souvent douté du coup d’Etat, partagés entre une version qui donne quelque place à Issoufou Mahamadou dans la survenue des événements du 26 juillet 2023 et une version qui y voit une action militaire mûrement réfléchie et menée au nom de l’intérêt national, et notamment pour la sauvegarde de la patrie menacée, il y a bien un fait troublant qui interroge sans cesse le citoyen lambda : pourquoi, après plus d’un an de gouvernance, la transition peine à sanctionner, à s’intéresser à un certain nombre de dossiers emblématiques ? Pourquoi, héritant d’une gestion désastreuse du pays pendant près de treize ans, le régime militaire hésite à demander des comptes à des gens qui se sont ostentatoirement enrichis sur le dos du contribuable ? Pourquoi après plus d’un an de présence, on n’en dit aucun mot sur la gestion antérieure ? Pourquoi la Coldeff, censée apporter des lumières sur cette gestion catastrophique, ne peut mieux communiquer pour informer les Nigériens sur les scandales qui avaient émaillé la gestion des socialistes ? Faut-il croire, lorsque par le travail de cette commission, l’on a choisi de protéger les visages de bandits d’Etat qui ont spolié ce pays, que le CNSP n’ait aucune volonté d’aller au fond des dossiers, ne pouvant juste se contenter, sur fond de menaces, que de glaner les résidus de fortunes que des gangs avaient amassées pendant la dernière décennie ? Pourquoi veut-on cacher ces visages aux Nigériens ? N’est-ce pas un moyen de disqualifier des gens à revenir sur le champ politique pour arnaquer le peuple ? Peut-on se rappeler que c’était déjà en 2016 que les dignitaires de l’ancien régime, dans certains cercles, pouvaient confier que le Niger était en faillite ; une situation qui rend compte de la hauteur de la prédation de la part de gens qui arrivaient au pouvoir, seulement en 2011. Uraniumgate, riz pakistanais, affaires Caisse Nationale de Sécurité Sociale, Africard, SONIDEP, et tant d’autres pour lesquels les Nigériens attendent d’en savoir un peu plus, dorment dans les tiroirs comme si la transition est quelque peu gênée de les rouvrir pour y faire toute la lumière au nom d’une justice égale pour tous les Nigériens.
Dans les moments compliqués qui sont les nôtres, le CNSP doit sans doute comprendre que le temps joue contre lui tant que par rapport à de telles questions, l’on voit le régime se complaire dans l’attentisme et l’insouciance, se refusant presque à aller à la vérité et à la justice aujourd’hui indispensable pour conforter le lien avec le peuple, lui-même nécessaire à conforter le pouvoir et sa légitimité. Las d’attente, les Nigériens se demandent, et à juste titre, vers où les mène la transition qu’ils ont pourtant soutenue, aimée et animée avec toute leur âme, espérant trouver le moyen de se libérer d’un système qui a ruiné le pays et les valeurs communes.
Il ne s’agit pas d’une fixation sur l’ancien régime, mais d’une exigence éthique qui voudrait, ainsi que l’on satisfasse les attentes des Nigériens qui ont demandé, au lendemain du coup d’Etat du 26 juillet 2023, une lutte sans complaisance contre les détournements et la corruption afin d’assainir l’environnement politique nigérien, pollué par une décennie de laisser-aller qu’on ne peut plus continuer à observer, passif.
Faut-il donc croire que le CNSP, comme la Renaissance, serait assez faible pour prendre à bras le corps, la question grave de la gestion dont il a hérité avec comme déterminants insolubles la concussion, l’enrichissement illicite, la corruption à grande échelle, le clanisme, le favoritisme et l’affairisme ? Faut-il alors croire encore que ceux qui ont volé, pillé et détruit le Niger, devront échapper, pour aller narguer le peuple avec leurs fortunes douteuses, mal acquises ? Faut-il donc croire que ces immeubles qu’aucun autre Nigérien, ni par sa fortune, ni par celle de sa famille reconnue, ne saurait justifier, devraient échapper au patrimoine national ?
L’heure de vérité a sonné…
Aujourd’hui, c’est de cela que les peuples ont besoin : la justice. Celle-ci ne devrait pas se muer en règlement de compte, mais juste pour reconnaitre des torts et les réparer sinon la confiance avec les peuples se perdra. C’est avec un courage politique que la transition, et notamment le CNSP, doit ouvrir tous les dossiers pour les confier à des juges intègres qui peuvent les traiter en toute impartialité. L’attente a été longue, il faut maintenant aller aux choses sérieuses, peut-on entendre de part et d’autre, à travers le pays. Il est vrai que depuis plus d’un an certains des ténors de l’ancien système gardent prison, mais selon les informations recoupées, ils ne partaient en prison que pour atteinte à la sureté de l’Etat, rien de leur gestion ne leur étant pas encore opposé et reproché pour justifier leur incarcération. Pour que ce pays marche, il faut que les Nigériens renouent avec les vieilles et bonnes valeurs que la démocratie est venue détruire sous nos cieux. Or, cette culture ne peut se recréer tant que l’on ne va pas à la sanction, celle pour éprouver des hommes et leur faire payer les fautes de gestion dont ils se seraient rendus coupables et celle pour promouvoir l’excellence en reconnaissant et en valorisant ceux qui, dans leurs responsabilités, donnent le meilleur d’eux-mêmes pour l’intérêt collectif. En caressant des voleurs dans le sens des poils pour leur donner le prétexte de faire croire qu’ils auraient le contrôle de la transition, le CNSP ne peut s’aider dans sa mission historique qui ne peut s’accommoder d’ambivalence et de duplicité. C’est cela que les Nigériens attendent de sa part pour que chaque Nigérien, tant que sa culpabilité est établie, paie pour ses fautes. C’est la justice. C’est en ce moment seulement que la réconciliation que certains opposent aujourd’hui peut avoir un sens, mais pas dans ces conditions où elle ne sert qu’à justifier les indulgences des militaires à l’égard de l’ancien régime pour lequel, il faut en convenir, Bazoum ne peut être pas seul à payer car pendant qu’il a ses responsabilités pour lesquelles il doit répondre devant la loi, d’autres, pour des actes dont ils se seraient rendus coupables, devraient aussi payer, ce au nom de l’imputabilité. On sait d’ailleurs que beaucoup d’acteurs n’auront été que des mains visibles, car derrière eux se cachaient les vraies mains criminelles, celles qui poussent à la faute pour en recueillir le butin des crimes.
Changer les hommes…
C’est une exigence fondamentale, vitale pour le CNSP et pour la transition. La même médiocrité qui a ruiné ce pays ne doit revenir sous un nouveau jour, pour le reprendre et l’achever. Mais le peuple ose croire que le CNSP et son gouvernement en sont capables pour aller sans hésiter aux changements escomptés. Ils peuvent en être capables si la transition fait les réglages nécessaires pour revoir son dispositif humain qui trahit ses choix historiques pour lesquels l’ensemble du peuple la soutient. Il est absolument important aujourd’hui de faire le bilan de plus d’un an de parcours pour voir ce qui marche et ce qui marche moins bien, pour voir les bons hommes qui sont aux bonnes places et ceux qui n’apportent aucune plus-value à l’action gouvernementale et dans la gestion de l’administration, afin de trouver les hommes qui peuvent être capables de provoquer les changements que les Nigériens attendent depuis des mois. Comment croire au changement quand ce sont presque les mêmes acteurs hérités de l’ancien système qui continuent de piloter l’administration comme si ce pays devrait manquer d’hommes et de femmes valables ? Peut-on d’ailleurs attendre de ceux-là la révolution attendue pour croire qu’ils puissent être capables d’avoir la volonté et le courage à faire la lumière sur une gestion de laquelle ils restent comptables ? Bien de ministres payent ces choix d’hommes hérités de l’ancien système. Pour avoir refusé d’opérer les changements nécessaires, ils sont restés avec la même racaille pour collaborateur et aujourd’hui ils n’ont que leurs yeux pour pleurer le bilan mitigé qui est le leur, forcément à leur des comptes.
Tout le monde sait que malgré la volonté des militaires au pouvoir, aujourd’hui, c’est la médiocrité de certains hommes et de certaines femmes qui tire vers le bas les efforts et la volonté politique des gouvernants que l’on pourrait croire presque trahis par des acteurs qui voudraient que le CNSP échoue pour faire regretter aux Nigériens la Renaissance qu’ils vilipendaient au lendemain du coup d’Etat. Certains acteurs, à la position qui est la leur, ne peuvent pas rendre justice car très souvent, d’une façon ou d’un autre, ils restent aussi comptables des gestions antérieures en procès. Oui, on a senti un vent de Kountchisme souffler sur le pays depuis le 26 juillet 2023 et l’on a cru voir, le vieil homme réincarné, revenir sauver le pays par ses rigueurs héritées et son patriotisme réinventé derrière la carrure des hommes du CMS, pardon, du CNSP. Mais on attend toujours le visage de l’homme austère rêvé par-delà les folies de notre révolution aujourd’hui hésitante, quelque peu grippée.
Quand sur la télévision nationale, l’on a vu un documentaire de la télévision chinoise diffusé le dimanche passé sur Télé Sahel pour évoquer la relation des Chinois avec la corruption, leur intransigeance à ne jamais cautionner la corruption, l’on a cru que le Niger nouveau voudrait aussi s’en inspirer pour rendre à notre société la beauté de ses hommes enfin recouverts de leur intégrité légendaire qu’une démocratie farfelue venait leur arracher. La sanction est donc indispensable car elle reste la seule pédagogie que les hommes peuvent comprendre pour changer.
Le CNSP a sans doute encore des chances de se rattraper. Il a, peut-être sans s’en rendre compte, une chance rarissime, unique, de rentrer dans la grande histoire d’un pays, de toute l’Afrique et de la géopolitique mondiale, qui devra très longtemps parler de lui. Le soutien du peuple ne peut pas être trahi. C’est, du reste un engagement du Général Tiani. Et les Nigériens regardent et jugent. Ils n’ont encore rien oublié de ses paroles nobles et grandes, pleines de sens. Pour l’Histoire. Celle qui s’écrit avec grand H.
Mairiga