Le CNSP face aux grosses interrogations des Nigériens
Le vendredi 26 juillet 2024, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) aura un an. Un an de grâce pour le Niger qui a rompu, le 26 juillet 2023, les amarres de la Françafrique et qui s’est résolument inscrit dans une lutte pour la souveraineté. Une lutte qui a débuté par la demande du départ des troupes occidentales qui ont pratiquement fait du Niger un territoire conquis. Il y avait des Français bien entendu, des Américains, des Italiens, des Allemands, ainsi que d’autres soldats européens invités dans le cadre des structures telles qu’Eucap Sahel. Une bataille gagnée ou, plutôt, en voie d’être gagnée, les troupes américaines étant en train de partir. Si la bataille est loin d’être gagnée, des menaces sur la sécurité intérieure et extérieure étant encore vivaces, notamment du côté de la frontière avec le Bénin où sont stationnées une partie des troupes françaises chassées du Niger, elle a toutefois donné quelque satisfaction aux Nigériens. C’est terminé ces cortèges de soldats blancs qui prétendent être là pour lutter contre le terrorisme alors qu’ils l’alimentent et l’entretiennent à dessein. La lutte des Nigériens, durant ces 12 mois, ne se limite pas à la sécurité, la Cedeao et l’Uemoa ayant été instrumentalisées par la même France pour imposer au Niger des sanctions inhumaines et totalement illégales puisqu’elles ne sont prévues par aucun texte de ces institutions. La France tenait à asphyxier le Niger et, dans cette guerre acharnée pour agenouiller le Niger, rien n’a été omis par pudeur ou par humanisme. Tout était interdit d’entrée au Niger, y compris les produits alimentaires et pharmaceutiques et la fourniture électrique en provenance du Nigeria, coupée. La flambée des prix des denrées alimentaires, les morts par manque de courant électrique allait être pire, n’eut été le secours du Mali, du Burkina Faso et du Togo qui ont été d’une solidarité exemplaire. Au plus fort des menaces d’intervention militaire, le Mali et le Burkina Faso ont même fait savoir que toute attaque contre le Niger serait assimilée à une attaque contre le Mali et le Burkina Faso.
Ce cap dépassé, les Nigériens sont désormais face à leur destin. Depuis le 26 juillet 2023, des préoccupations sont restées suspendues, leur résolution ayant été différée continuellement par le Cnsp. Il y avait de quoi. Il fallait faire face à des urgences des plus vitales. Ces préoccupations sont liées à la libération des prisonniers politiques, toujours en détention, à la poursuite en justice des acteurs majeurs qui ont ruiné le Niger, construisant des fortunes colossales grâce à des détournements de deniers publics d’une ampleur jamais égalée et aussi par le biais de business de la drogue et de l’insécurité. S’ils n’ont pas compris le lien établi entre le combat engagé pour obtenir le départ des troupes françaises et la libération des prisonniers politiques du régime déchu, les Nigériens ont toutefois accordé le bénéfice du doute au Cnsp, attendant sagement l’éclaircie souhaitée. Mais, les troupes françaises sont parties du Niger depuis plus de six mois, aujourd’hui, et les prisonniers politiques, civils et militaires, sont toujours incarcérés. Selon un observateur, il n’y a aucune intention de les libérer. C’est le premier couac entre le Cnsp et les Nigériens qui ont progressivement marqué un désintérêt, sinon une désaffection vis-à-vis de la gestion des affaires publiques.
Outre la libération des prisonniers politiques dont le Cnsp assume manifestement le maintien en détention, les Nigériens sont quelque peu déçus que le Cnsp ait adopté une posture pour le moins surprenante par rapport aux scandales financiers qui ont jalonné la 7ème République. À ce jour, le Cnsp n’a initié aucun procès pour éclairer la lanterne des Nigériens et faire rentrer l’État dans ses droits. La Commission de lutte contre la délinquance, économique, financière et fiscale (Coldeff) n’a pas jusqu’ici abordé le moindre dossier des affaires les plus graves. Il y a le prêt Eximbank de 1000 milliards dont les Nigériens ne savent rien de la destination et de l’usage, l’achat de l’avion présidentiel, acheté à crédit alors qu’une provision budgétaire de 21 milliards a été adoptée par l’Assemblée nationale et que le gouvernement de l’époque a accepté un pot de vin de 35 millions d’euros d’Areva (actuelle Orano). Il y en d’autres.
Sur un tout autre plan, l’An 1 du Cnsp intervient dans un contexte où les grosses interrogations s’accumulent. La présentation, il y a quelques jours, du programme-vision du Général Tiani ajoute à la perplexité des Nigériens. Conformément à sa déclaration que le Cnsp ne saurait excéder une transition de trois ans, des observateurs avisés font remarquer que même en cinq ans, le Général Tiani ne pourrait pas exécuter un tel programme. Selon ces sources, il y a dès lors un risque de glissement dans le temps, le courant des opportunistes étant le plus fort pour demander, au nom de la lutte pour la souveraineté nationale et probablement des chantiers inachevés, que le délai de trois ans soit prolongé, voire doublé. Quoi qu’il en soit, s’il aspire à rassembler le plus large possible, le Cnsp doit songer à vider les deux sujets qui font douter beaucoup de Nigériens, à savoir la libération des prisonniers politiques et les procès des scandales financiers.
Laboukoye