Les stupides affaires du temps de la renaissance
Après le litige avec Africard CO LTD dans lequel le Niger a été condamné à payer plus de 27 milliards de francs Cfa pour non-respect des engagements souscrits, le Niger a également fait face à un autre contentieux international, toujours pour non-respect des engagements contractés. C’est le contentieux judiciaire avec Getferail-Africarail, du nom du consortium détenteur des droits sur l’axe Kaya (Burkina Faso) – Niamey (Niger) – Parakou (Bénin), Aného (Togo) – Ouidah (Bénin), ainsi que sur l’axe Blitta (Togo) – Ouagadougou (Burkina Faso). Assigné en justice devant la Chambre de commerce internationale de Paris par le groupe de l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, le Niger ne s’était pas contenté de reconnaître ses erreurs et de promettre de réparer. Il a fait dans les pirouettes, entachant ainsi fortement sa crédibilité sur la scène internationale sans toutefois réussir à se sortir d’affaire. En fin octobre 2016 encore, Mahamadou Issoufou, qui ne s’est plus où donner de la tête car empêtré dans d’innombrables litiges financiers, avait envoyé des émissaires à Paris pour tenter d’éteindre, enfin, un feu qu’ils ont pourtant allumé et attisé de plein gré. Pour cette mission périlleuse, c’était le soldat Hassoumi Massoudou qui a été choisi. Le tout nouveau ministre des Finances faisait ainsi son baptême de feu. Accompagné de Pierre Foumakoye Gado, ministre du Pétrole, d’Ibro Zabèye, directeur du Contentieux de l’Etat et de Gandou Zakara, secrétaire général du gouvernement, il a passé une semaine dans la capitale française. Sans succès ! Cette ultime mission pour tenter de négocier un accord amiable avec Africarail était la confirmation que Mahamadou Issoufou s’était mis le diable dans le dos. En jouant au plus fin dans une situation où il était entièrement fautif, son gouvernement s’est pratiquement mis entre le marteau et l’enclume. La diffusion d’un communiqué réfutant le contenu de la déclaration commune du 30 mai 2016 qu’il a pourtant librement signée, en son nom et au nom du Bénin (???), a desservi le gouvernement de Mahamadou Issoufou, le discréditant aux yeux des partenaires extérieurs du Niger. Qui peut faire confiance à un gouvernement capable de telles pirouettes ? Dans les relations de coopération, on ne joue pas à ce jeu-là. Et comme dans l’affaire d’Africard, les autorités de Niamey, selon toute vraisemblance, n’avaient pas tenu les engagements contractés dans le cadre de la déclaration commune du 30 mai 2016. Autrement, la mission de Paris n’aurait pas eu lieu. D’ailleurs, elle n’aurait jamais dû avoir lieu, le gouvernement de Mahamadou Issoufou ayant poussé le bouchon trop loin en signifiant clairement dans le fameux communiqué consécutif à la signature de la déclaration commune que « … la concession Bolloré est la seule valide car signée en bonne et due forme… que la délégation nigérienne a demandé une juste indemnisation des Etats par Geftarail pour le préjudice causé aux économies des Etats signataires du protocole ». Un acte gravissime qui ferme les portes de la conciliation.
Liés par un protocole signé le 15 janvier 1999, le Niger, le Burkina Faso, le Bénin et le Togo avaient confié au groupement Geftarail la mission de mobiliser des ressources, de réaliser des études et de construire et exploiter certains tronçons de la grande boucle ferroviaire. Détenteur des droits sur l’axe Kaya (Burkina Faso) – Niamey (Niger) – Parakou (Bénin), Aného (Togo) – Ouidah (Bénin), ainsi que sur l’axe Blitta (Togo) – Ouagadougou (Burkina Faso), Africarail, l’agence d’exécution mise en place par le groupe Getferail, entreprend, à partir de 2011, de réunir les fonds nécessaires à la réalisation du projet. Il met alors en place, à Bercy, un comité de pilotage “ferroviaire et minier”. Ce fameux comité, présidé par Michel Rocard, réunissait d’autres groupes français dont Getferail sollicitait le concours financier. C’était notamment le cas du groupe Bolloré. Mais, quelle ne fut la surprise du groupe Getfarail et Africarail de constater, quelques années plus tard, que Vincent Bolloré a obtenu de Mahamadou Issoufou, l’autorisation d’exécuter le projet. Lésés dans leurs droits légitimes, le groupe Getferail et Africarail intentent un procès en France, contre le Niger et le Bénin qui ont décidé, au mépris des règles contractuelles, de créer une multinationale avec le Groupe Bolloré comme partenaire stratégique. Le dossier est encore plus compliqué. Car, il se trouve qu’une deuxième convention a été signée avec le richissime Samuel Dossou dont la société, Pétrolin, a gagné, le 22 juillet 2010, l’appel d’offres pour la construction et l’extension du chemin de fer du Bénin jusqu’au Niger, et ce pour un montant de 800 milliards de francs CFA contre un coût de 1200 milliards de francs CFA pour le groupe Bolloré. La lettre de notification de l’adjudication de la concession à Pétrolin signée par les deux États (Niger et Bénin) le 22 juillet 2010 a permis à Pétrolin [Ndlr : le groupe de Samuel Dossou] de continuer son soutien apporté au réseau ferroviaire Bénin-Niger en attendant la finalisation de la Convention particulière ferroviaire. Samuel Dossou obtient de la Cour d’appel de Cotonou la cessation des travaux pilotés par Bolloré. Dans son arrêt, la justice béninoise a ordonné l’arrêt immédiat des travaux de Vincent Bolloré sur l’axe de l’OCBN (Bénin-Niger), sous astreinte de 100 millions de F CFA [152 000 euros] par jour de résistance. Le groupe Bolloré s’était exécuté. Quant au groupe Getferail et Africarail, ils ont entamé une procédure judiciaire contre le Niger auprès de la Cour de commerce internationale de Paris. C’est la procédure d’arbitrage CCI N°21451/MCP/DDA que Mahamadou Issoufou a essayé d’enrayer à deux reprises : d’abord le 30 mai 2016 lorsque, à l’initiative de Niamey, l’Etat du Niger, représenté par Ibro Zabèye, directeur du contentieux de l’Etat, et Mohamed Moussa, secrétaire permanent de la cellule d’appui au partenariat public-privé du cabinet du Premier ministre, signent avec une délégation d’Africarail conduite par Michel Bosio, président de Getfarail et Michel Rocard, ancien Premier ministre de France, une déclaration commune. Objectif : trouver un règlement à l’amiable pour mettre un terme à la procédure judiciaire. Après deux jours de discussions (24 et 25 mai 2016), le Niger reconnaît les droits d’Africarail sur la construction et l’exploitation des ouvrages d’arts et des infrastructures ferroviaires comme convenu dans les accords de 1999 et de 2000 (Protocole additionnel du 31 août 2000).
Cette volte-face du gouvernement issue du hold-up électoral des 21 février et 20 mars 2016 a compliqué davantage un dossier qui était déjà un véritable imbroglio judiciaire. Selon le point 3 de la déclaration commune, « L’Etat du Niger réaffirme qu’Africarail est toujours concessionnaire du droit de construire et d’exploiter les ouvrages d’art et les infrastructures ferroviaires sur l’axe Kaya (Burkina Faso) – Niamey (Niger) – Parakou (Bénin), Aného (Togo) – Ouidah (Bénin), ainsi que sur l’axe Blitta (Togo) – Ouagadougou (Burkina Faso) constituant la grande boucle ferroviaire de l’Afrique de l’Ouest, conformément au Protocole du 15 janvier 1999 et au Protocole additionnel du 31 août 2000 ». À l’annonce de la déclaration commune, le groupe Bolloré a dû certainement menacer de sévir. Craignant sans doute la furie de Vincent Bolloré, Mahamadou Issoufou avait fait diffuser un communiqué qui apporte un démenti cinglant à ce que dit pourtant, clairement, la déclaration commune. Dans ce communiqué insolite, les autorités versatiles de Niamey soulignaient qu’au cours de cette négociation, « la délégation nigérienne a soutenu que la concession Bolloré est la seule validecar signée en bonne et due forme ; que le B.O.T (built, operate and transfert) envisagé avec Geftarail n’est pas encore signé et que la délégation nigérienne a demandé une juste indemnisation des Etats par Geftarail pour le préjudice causé aux économies des Etats signataires du protocole ». Aucune signature au bas dudit communiqué. Pourtant, le document était publié dans le journal gouvernemental. Pour beaucoup d’observateurs, il est surprenant que ce communiqué provienne des mêmes autorités qui ont reconnu dans la déclaration commune qu’Africarail est l’unique détenteur des droits sur l’axe de l’OCBN. En tout état de cause, son contenu, aux antipodes de celui de la déclaration commune, n’avait pas donné une image sérieuse de l’Etat du Niger.
Après les pirouettes de Niamey, l’heure de vérité. Le 10 août 2016, les engagements contractés par le Niger dans le cadre de cette déclaration commune arrivent à échéance. Or, un des engagements forts de cet accord est que « L’Etat du Niger s’engage, de concert avec les autres Etats parties au Protocole, à apurer les dettes dûment constituées du Comité de pilotage d’Africarail envers la société Getferail et ce dés réception des factures et de leurs justificatifs, et à prendre à sa charge tous ses coûts directs dûment établis ». Et pour corser l’affaire, le point 10 stipule que « la présente déclaration deviendra caduque si elle n’entre pas en vigueur et/ou si les parties ne s’y conforment pas avant l’expiration de la suspension de la procédure d’arbitrage le 10 août 2016 ». Le Niger a-t-il pu apurer ces dettes ? Voici, donc, l’imbroglio judiciaire dans lequel Mahamadou Issoufou a plongé le Niger avec l’histoire de ces rails qu’il voulait faire comme s’il s’agissait de piste latéritique. Ces rails ne sont pas simplement dépassés et impraticables. Ils valent au Niger un contentieux judiciaire dans lequel, il va encore baver plus que dans l’affaire qui l’avait opposé à Africard CO Ltd. Il reste à savoir comment le Niger va se sortir de ce guêpier. En attendant le coup du groupe Bolloré qui a déjà déclaré ne pas être concerné par ce contentieux judiciaire, rejetant vers les États la responsabilité “des droits antérieurs qu’ils auraient pu accorder à des tiers”. Le comble ! Outre, donc, le contentieux judiciaire avec Africard CO LTD, le Niger de Mahamadou Issoufou était également empêtré dans un autre conflit avec Getferail et Africard. Une cascade d’affaires judiciaires internationales qui avaient un seul dénominateur commun : le manquement de l’Etat du Niger à ses obligations contractuelles. Un élément crucial pour un pays.
Laboukoye